Commande de l’IRCAM et du printemps des Arts de Monaco pour le quatuor Diotima
Création le 31 mars 2007, Festival le Printemps des Arts, Monaco.
Quatuor Diotima, technique IRCAM, Réalisation informatique Serge Lemouton.
Création de la version 2 : IRCAM, 5 février 2009
Dédicace : Au Quatuor Diotima
Durée : 14 minutes
Edizioni Musicali RAI Com (Roma, Milano)
La question qui demeure lorsque je travaille avec les sons électroniques est : pourquoi tel traitement plutôt que tel autre ? Plus que pour les œuvres purement instrumentales c’est par les refus que je définis le projet de ma partition. D’abord j’élimine tous les potentiels pour me concentrer sur certains objectifs précis. En fait, plus le son est au centre des objectifs – le son davantage que les notes – et plus il m’importe de définir les enjeux. Plus les sonorités sont complexes, c’est-à-dire difficiles à hiérarchiser, plus je concentre mon discours sur ce que j’appellerai des allures propres à la partition.
Bien sûr, on pourra m’objecter qu’après tout, toute nouvelle partition pour un effectif particulier demande un traitement spécifique. Certes, mais il me semble qu’avec les sons électroniques, il faut aller au-delà des habitudes culturelles qu’implique tel instrument ou tel groupe instrumental. Avec l’électronique, les interrogations deviennent plus impérieuses, l’outil étant plus ouvert et plus limité tout à la fois. C’est à travers ces contradictions qu’il faut se frayer un chemin. Lors de l’élaboration d’une œuvre avec électronique, j’ai l’impression de devenir un composé de Robinson Crusoé (pour la reconstruction de l’environnement), du capitaine Achab (pour la recherche acharnée d’un vieux compte à régler) et de Monsieur Palomar (parce que personne n’est à l’abri du comique voire du ridicule).
Pour cette œuvre, j’ai prolongé les sonorités du quatuor à cordes par les sons électroniques qui, tous, ont été élaborés à partir d’échantillons sonores de violon, d’alto et de violoncelle. Au cours de l’exécution, les sons électroniques étendent et amplifient ce qui est joué par les instrumentistes. Le quatuor à cordes devient alors un espace sonore à la fois démultiplié, lorsque différents modes de jeu se superposent, et étendu par des sonorités que seule l’électronique permet. Il est intéressant de souligner la formidable capacité d’adaptation du quatuor à cordes, un des rares effectifs instrumentaux qui passe avec aisance de la musique du XVIIIe siècle au répertoire le plus contemporain. Le quatuor à cordes représente pour moi avec le piano une sorte d’absolu qui permet d’aller, pour paraphraser Debussy, jusqu’à la chair nue de l’écoute.
C’est en me posant les questions de pourquoi ceci, pourquoi pas cela ? que m’est revenu à l’esprit le titre d’une série d’œuvres de Barnett Newman (Not There-Here). En quelques couleurs parcimonieusement disséminées et associées à un titre, les tableaux de Newman ouvrent des perspectives qui restent pertinentes 50 ans plus tard. C’est à cette reprise en main radicale de l’espace visuel et spirituel que j’ai voulu rendre hommage. Reprise en main qui ne m’apparaît pas autoritaire, je m’empresse de le souligner. La remise à plat de l’espace visuel associé à des interrogations d’ordre philosophique voire mystique a pour but, chez Newman, d’ouvrir notre perception de l’image sur des espaces insoupçonnés sans cette radicalité. À l’opposé du flux continu d’images, Barnett Newman choisit ses formes et délimite son espace visuel pour concentrer son discours ; attitude qui reste pour moi un modèle.
Avec cette partition pour quatuor et électronique – spécifiquement composée pour le Quatuor Diotima – , j’ai souhaité amener ma musique vers d’autres territoires, poursuivant en cela la remise en cause des prédicats de mes choix esthétiques ; remise en cause que je poursuis depuis quelques années maintenant. C’est également pour cette raison que le titre a été choisi : prendre telle voie et non pas telle autre.
Frédéric Durieux
PS : Je tiens à remercier Serge Lemouton, pour la réalisation musicale informatique de ma partition. Outre sa patience et sa compétence, il a su me faire entendre et écouter plus profondément les objets sonores que je voulais mettre en jeu. S’il y a une qualité dans le rapport entre les sons électroniques et la partie instrumentale, c’est grâce à lui que ce projet a pu venir à terme.
© Barnett NEWMAN, Not There-Here (1962)